Animer les réseaux de professionnels avec l’intelligence collective

En quoi consiste la facilitation ? Pourquoi est-ce selon vous particulièrement pertinent pour animer des réseaux de professionnels du tourisme ?

CL : La facilitation et l’animation d’outils d’intelligence collective visent à créer un environnement propice à la collaboration, à la co-construction et à l’émergence d’idées au sein d’un groupe. Dans le contexte du tourisme, cela peut concerner des réseaux d’offices de tourisme, des regroupements de prestataires, des acteurs institutionnels ou encore des collaborations public-privé. L’objectif est de permettre à ces professionnels de dépasser la simple juxtaposition de leurs actions individuelles pour créer une dynamique collective porteuse de solutions innovantes et de stratégies partagées.

Concrètement, cela passe par la conception et l’animation de réunions, d’ateliers ou de séminaires où l’on va utiliser des méthodes et des outils spécifiques pour stimuler la participation de chacun, favoriser l’écoute active, structurer la pensée collective et aboutir à des décisions ou des plans d’action concrets. Il ne s’agit pas seulement de réunir des gens, mais de créer les conditions pour qu’ils travaillent ensemble efficacement.

D’après-vous, quels sont les principaux défis rencontrés par les acteurs du tourisme lorsqu’ils souhaitent collaborer et innover ensemble ?

L’intelligence collective est particulièrement cruciale car les stratégies touristiques nécessitent une collaboration étendue avec une multitude d’acteurs indépendants (hôteliers, restaurateurs, viticulteurs, musées, etc.), ainsi qu’avec les élus, les habitants et les partenaires institutionnels. La mise en œuvre d’une stratégie touristique repose sur un collectif et non sur une seule institution.

Cette nature collective soulève dès le départ la question de la coopération sans lien hiérarchique. Les directeurs d’offices, présidents ou élus sont rapidement confrontés à la manière de travailler avec l’ensemble des acteurs du tourisme.

Cependant, la légitimité, bien qu’importante (le niveau d’expertise sur un sujet, par exemple), ne suffit pas toujours à garantir la coopération. La capacité technique et les savoir-faire pour mobiliser ces réseaux sont essentiels.

Plusieurs défis spécifiques aux acteurs institutionnels du tourisme ont été identifiés :

Cette complexité inhérente au secteur touristique fait que les offices de tourisme et autres structures ressentent rapidement le besoin de ressources pour faciliter cette collaboration et mettre en œuvre efficacement l’intelligence collective.

Retrouvez en bas de page le témoignage de Pauline Montpied, chargée de développement touristique à l’Office de Tourisme Cœur de Savoie, qui revient sur la découverte et la mise en application de nouvelles techniques d’intelligence collective.

Quels types d’outils et de démarches d’intelligence collective proposez-vous pour stimuler la coopération et la créativité au sein de ces réseaux ?

CL : Souvent, les professionnels du tourisme pratiquent l’intelligence collective sans forcément en avoir conscience dès qu’ils réunissent des personnes. Cependant, cette animation est parfois réalisée avec stress et sans outils adaptés, confondant leadership et animation. Il est important de reconnaître que l’on anime déjà, même intuitivement.

L’expérience accumulée depuis 20 ans montre que l’apprentissage et le développement des compétences en facilitation peuvent commencer par des situations à faible enjeu comme le bilan de saison lors d’une AG. Ce moment permet d’expérimenter des outils d’écoute et de dialogue, car le bilan de chacun est personnel mais informatif pour tous les prestataires (accueil, musée, activités).

Un autre exemple concret est l’intégration des saisonniers. Au lieu d’une réunion soporifique basée sur un PowerPoint, il est plus pertinent de favoriser le témoignage et le dialogue avec l’équipe en place. Ces moments de partage de savoirs et de pratiques, sans désaccord majeur, sont très concrets.

Concernant les outils, lors d’une AG, pour un temps de partage d’expérience, on peut utiliser des outils classiques comme le “World Café”. Cette méthode permet de partager des expériences en sous-groupes, favorisant la rencontre et l’apprentissage mutuel.

Enfin, l’inclusion est primordiale dès le début d’une animation. Il est crucial de passer d’un “je” individuel à un “nous” collectif pour que le groupe fonctionne. Cette étape de constitution du groupe est le socle de toute facilitation et animation, quel que soit le niveau de complexité des objectifs (résoudre un désaccord ou partager une expérience). Il s’agit d’aider les participants à quitter leurs préoccupations individuelles pour devenir membres actifs du groupe.

“Clarifier le pouvoir des participants : une responsabilité incontournable !“

Quels conseils donneriez-vous aux professionnels du tourisme qui souhaitent intégrer davantage d’intelligence collective dans leurs pratiques ?

CL : Il est conseillé de progresser par étapes. Cela implique de commencer par des déroulés simples et éprouvés, adaptés au contexte, et de tester ces déroulés collectivement, en sollicitant l’avis d’autres personnes.

Pour ceux qui souhaitent intégrer l’intelligence collective dans leurs réunions, il est crucial d’avoir soi-même vécu l’expérience de ce type d’animation. La formation est un moyen d’acquérir cette expérience, car la pédagogie repose souvent sur l’expérimentation en tant que participant.

Un premier pas consiste à maîtriser les outils d’inclusion, comme les “brise-glace” permettant aux participants de se présenter autrement que par leur fonction professionnelle.

Le principal écueil à éviter est d’animer pour animer, en confondant animation et divertissement. Cela risque de décrédibiliser les techniques et les processus, et de rendre les productions inutiles. Il est donc essentiel de clarifier les objectifs de la réunion, le pouvoir donné aux participants et les limites du cadre de travail. La préparation de la réunion est cruciale, notamment pour définir clairement les objectifs et le cadre d’intervention.

Enfin, la neutralité est un élément clé. Elle peut être relative pour des objectifs de capitalisation, mais doit être très élevée pour des sujets sensibles comme une fusion d’offices ou une stratégie touristique. Aussi la facilitation au sein de son propre réseau peut parfois s’avérer délicate. On peut imaginer développer ou s’appuyer sur des réseaux d’animateurs, pour échanger des bonnes pratiques en matière de facilitation.

La facilitation concerne le processus, et non le contenu. Elle vise à aider les collectifs dans leur mécanique de coopération, de prise de décision et d’imagination.

Comment voyez-vous l’évolution de la facilitation et de l’intelligence collective dans le secteur du tourisme dans les prochaines années ?

CL : La période actuelle est passionnante, avec un bel avenir pour les nouvelles cultures professionnelles dans le tourisme. Les jeunes professionnels apportent une vision où la communauté (acteurs, élus, habitants) est intégrée.

La complexité et la vulnérabilité croissantes des économies, des sociétés et des écosystèmes rendent l’intelligence collective primordiale dans le tourisme. La réflexion, la recherche de formats et les capacités d’adaptation doivent être collectives. L’intelligence collective est un soutien face à l’instabilité, et la créativité et l’adaptation passent par ses outils.

L’interviewée

*Catherine Lecomte est animatrice, facilitatrice et pédagogue à son compte depuis 20 ans. Son parcours professionnel est historiquement ancré dans le champ des institutions du tourisme, bien que son activité s’étende plus largement aux politiques publiques.
Elle conserve une affection particulière pour le secteur du tourisme et ses acteurs, liée à ses douze premières années de vie professionnelle consacrées à la valorisation du patrimoine et au développement touristique des territoires. Cette expérience initiale lui permet de comprendre les dynamiques et les enjeux spécifiques de ce milieu.

Formation

Vous souhaitez développer vos compétences en animation de réseaux et maîtriser des outils de l’intelligence collective pour dynamiser vos groupes de travail ?

Formation Trajectoires Tourisme Animer des groupes de travail avec des outils d’intelligence collective

Au programme :

• Définir une stratégie d’animation tenant compte du contexte et des objectifs
• Expérimenter des techniques ou des processus pour animer une séquence en intelligence collective
• Concevoir une séquence d’animation avec des techniques adaptées

En savoir plus et s’inscrire sur notre site Internet. Prochaine session du 02 octobre au 12 décembre 2025.

Témoignage : nouvelles approches d’animation : quand la théorie rencontre le terrain

En coulisses des formations d’animation collective, des professionnels du tourisme explorent de nouvelles manières de dynamiser leurs réseaux. C’est le cas des animateurs du Label Vignobles & Découvertes dont fait partie Pauline Montpied, chargée de développement touristique à l’Office de Tourisme Cœur de Savoie qui témoigne d’une mise en pratique progressive et créative des techniques apprises.

“La participation à une formation sur l’animation collective a permis de porter un regard nouveau sur le travail collectif. Si l’intégration à 100% des méthodes enseignées n’est pas toujours évidente sur le terrain, l’idée est plutôt de les distiller par “petites touches”. Ces formations – deux sessions de deux jours en 2023 et 2024 – avaient été organisées par Auvergne Rhône-Alpes Tourisme pour les animateurs du label “Vignobles & Découvertes”, en partenariat avec Trajectoires Tourisme.

L’objectif principal de ces nouvelles techniques ? Transformer les traditionnelles réunions de travail en moments plus vivants et participatifs, où les professionnels sont davantage acteurs de leurs projets. Il s’agit de passer d’une présentation descendante à une véritable intelligence collective, nécessitant un certain “lâcher-prise” de la part de l’animateur.

Des outils concrets pour une animation renouvelée

Plusieurs exemples concrets illustrent cette évolution. Lors de la journée de l’œnotourisme organisée par Auvergne-Rhône-Alpes Tourisme en 2023 (journée dédiée aux acteurs de la filière viticoles et aux destinations viticoles labellisées) il a été proposé aux participants d’expérimenter la technique de la conversation croisée, dans un but de développer des actions concrètes permettant d’impliquer d’avantage les acteurs labellisés.

Plus récemment, lors d’un groupe de travail sur le parcours client, une approche d’inclusion originale a été mise en œuvre grâce à une sélection d’images de paniers en osier selon la technique du photolangage.
Chaque participant était invité à choisir l’image qui reflétait le plus ce qu’il attendait de ce groupe de travail et pourquoi. L’objectif était de sortir d’une approche frontale et de permettre à chacun d’exprimer son ressenti de manière plus indirecte, et de commencer à nourrir les échanges.

Cadrer sans brider la créativité : un équilibre délicat

Si l’enthousiasme pour ces nouvelles méthodes est palpable, un défi demeure : celui de les intégrer à la stratégie touristique globale du territoire sans étouffer la créativité des groupes. Il est ainsi important de définir un cadre initial clair, afin de s’assurer que les idées émergentes puissent s’aligner avec les objectifs de développement.

L’engagement et la dynamique observés lors de ces réunions témoignent d’un potentiel certain. Ces formations ont permis aux participants d’acquérir une “boîte à outils”, ouvrant la voie à une animation de réseau plus stimulante et collaborative, où chacun se sent davantage impliqué dans la construction de l’offre touristique. Par ailleurs la participation à ces formations a permis de créer un collectif entre les animateurs du label Vignobles &Découvertes formés en même temps, qui se rencontrent régulièrement pour échanger et se soutenir dans leurs démarches d’animation“.

Pour aller plus loin

Quelques ressources conseillées par Catherine Lecomte

• Livre : « Intelligence collective : agir et innover en équipe » – Dunod.  
• Site web : Interpôles – réseau de ressources mutualisées pour coopérer. Plateforme où l’on partage en donnant ou en prenant.