Comment manager des équipes après cette période de confinement ? Comment retrouver une cohésion d’équipe quand ses membres ne se sont pas retrouvés physiquement ensemble depuis plus deux mois ? Peut-on réellement refaire comme avant ? Si la question du management était épineuse pendant ce confinement, elle l’est tout autant à l’heure du déconfinement, avec le retour progressif des salariés sur le lieu de travail.
Pour nous aider à bien aborder cette reprise, nous avons souhaité donner la parole à trois intervenants Trajectoires Tourisme afin qu’ils nous livrent leurs conseils pour adapter son management à l’heure du déconfinement. Magali Ménard – Coach certifiée et Facilitatrice en intelligence collective, psychologie positive appliquée aux organisations et constellations systémiques d’organisation. Anne Ecochard, Dirigeante du cabinet de conseil et coaching managérial Acted Value et David Azria, coach spécialisé dans le développement de la confiance au sein des équipes chez Evoluance Pro.
Préparer l’organisation sanitaire et informer les salariés
Cela reste la condition sine qua non à toute reprise d’activité en présentielle. Les dirigeants de chaque structure doivent obligatoirement préparer, sur le plan sanitaire tout d’abord, le retour des salariés afin d’assurer la sécurité et la santé physique des collaborateurs. Il incombe ainsi à l’employeur de mettre en place un certain nombre de mesures préconisées par le Gouvernement dans le cadre de la lutte contre l’épidémie du COVID-19 : mise à disposition de masques, de gel hydroalcoolique, distanciation des individus, mise en place d’une nouvelle circulation, nettoyage des locaux…
L’employeur doit également informer les équipes des mesures prises. Lors de nos échanges, David Azria a insisté sur l’importance de bien expliquer ces nouvelles mesures, de prendre le temps de préciser pourquoi et comment les appliquer. Pour la mise en place de certaines mesures, il est aussi possible de réfléchir collectivement en équipe pour s’appuyer sur les expériences “terrain” et sur les habitudes des salariés. Cela permet de ré-initier une cohésion d’équipe qui a pu être mise à mal pendant ces deux mois de confinement, et cela peut aider les salariés à s’approprier plus facilement ces nouvelles règles.
De nombreuses questions animent les équipes en ce moment : doit-on toujours suivre les objectifs fixés en début d’année ? Peut-on revenir au modèle établi avant l’explosion de cette crise sanitaire ? Il est certain que les cartes ont fortement été rebattues et qu’un questionnement autour de la stratégie de la structure et de l’offre de service s’impose, explique Anne Ecochard. Ce travail de fond doit être amorcé, de préférence, en amont de la reprise, par les dirigeants et les managers.
Toutefois, la nouvelle feuille de route peut aussi être co-construite avec ses équipes. Magali Ménard nous précise que plusieurs méthodes peuvent être utilisées pour imaginer collectivement cette nouvelle vision, comme celle du photo-langage où chaque salarié est invité à représenter, à travers des images, sa propre vision de l’entreprise. « Une fois ce travail collaboratif réalisé, il est important de le garder visible dans la structure, en l’accrochant par exemple dans un couloir ou une salle de pause, afin que chacun puisse s’y raccrocher régulièrement ».
Miser sur la transparence
Dans ce contexte de forte incertitude, l’information est clé. L’évolution rapide de cette crise, les nouvelles mesures gouvernementales, parfois contradictoires, mais aussi les décisions prises au sein des organisations font que la vérité d’hier est différente de celle d’aujourd’hui… et sera peut-être encore autre demain. Pour autant, les collaborateurs attendent énormément du manager pour qu’il puisse les aiguiller dans ce flou. Les managers doivent donc faire preuve d’agilité, d’adaptation permanente. Ils doivent composer avec les informations reçues à l’instant T pour accompagner au mieux leurs équipes dans le changement.
Le manager doit aussi accepter le fait qu’il ne peut pas tout maîtriser, tout anticiper étant donné la situation très évolutive que nous vivons actuellement. « Faire du mieux que l’on peut, faire preuve d’humilité et de transparence avec ses équipes sur le fait que l’on ne détient pas toutes les réponses, c’est aussi ça manager », nous rappelle Anne Ecochard.
Enfin, il est important d’avoir un discours vrai et transparent sur l’impact causé par cette crise sur sa structure, sur son état financier, sur les difficultés rencontrées et à venir. Expliquer peut-être que certains postes vont être amenés à évoluer, que l’organisation de travail qui était en vigueur avant la crise pourra être modifiée à court, voir même à long terme.
Être dans la bienveillance et l’écoute
Au sein de ses équipes, chaque individu a pu vivre cette période de confinement de manière très différente. Certains étaient en télétravail, d’autres en activité partielle, certains devant jongler avec la garde d’enfants, la perte d’un proche, la maladie… Au moment du déconfinement, les émotions ressenties et l’appréhension du retour au travail peuvent là aussi énormément varier selon les personnes. Tout le monde ne réagit pas de la même manière.
« Cette crise génère de l’irrationnel. Il faut
prendre en compte que certains salariés ont eu beaucoup d’angoisse qui peuvent
les bloquer encore aujourd’hui. En tant que manager, il faut accueillir ces
peurs, les écouter et aider ses salariés en leur donnant des matières à
réflexion : faits concrets, ressources de référents experts pour les faire
sortir de ce blocage » explique David Azria.
Pour ceux qui veulent en savoir plus sur les sciences cognitives et pour mieux comprendre l’apparente irrationalité des analyses et des décisionsdes individus face à la crise du COVID-19, nous vous invitons à visionner le webinar organisé par HEC Paris.
La courbe du changement
Pour identifier où se situent les différents membres de son équipe, les comprendre et les accompagner de manière individualisée dans l’appréhension de cette période de changements majeurs, Anne Ecochard conseille aux managers d’utiliser la ”Courbe du changement”, issue des travaux de la psychiatre Elisabeth Kübler-Ross. Face à tout changement, chaque individu passe par plusieurs étapes avant d’accepter et d’intégrer entièrement la nouvelle situation. La posture du manager doit être différente et cette compréhension aide à mieux accompagner le collaborateur dans son processus.
Par exemple : un salarié qui refuse d’accepter de travailler différemment, que ses missions pourront évoluer en profondeur, se situe plutôt à l’étape du déni (« Je ne veux pas voir changer le monde que je connaissais »). Le rôle du manager sera donc essentiellement d’informer, d’expliquer les raisons des changements mais aussi d’accueillir l’éventuel mal-être de son collaborateur. Au contraire, pour un salarié qui est dans déjà dans la phase d’acceptation, le manager pourra plutôt l’encourager pour accompagner sa re-mobilisation.
Faire un bilan de la période avec ses équipes
Il est inconcevable d’imaginer que les premiers instants du retour au travail seront semblables à un simple retour de vacances, ou que les collaborateurs pourront reprendre leurs missions normalement. Même si votre activité a été durement touchée, prendre un temps de bilan est indispensable pour en gagner ultérieurement.
Il y aura en effet absolument besoin d’un temps d’échange lors de la reprise du travail, qui pourra prendre la forme de bilans collectifs et individuels. Un temps d’échange où on parlera vrai, où chaque individu pourra s’exprimer sur sa propre expérience pendant ces mois de confinement. « C’est là où tout se joue » selon Anne Ecochard. Faire un bilan d’une période est important pour pouvoir avancer plus sereinement.
De plus, nous le disions précédemment, tout le monde n’a pas vécu de manière identique le confinement ; il en est de même pour le déconfinement. Tous les membres d’une structure ne se situent pas au même endroit sur la courbe du changement. Par exemple, on pourra se retrouver au sein d’une organisation avec un manager qui aura des attentes fortes et qui poussera son équipe à travailler deux fois plus pour tenter de rattraper le retard accumulé. Et à coté, un salarié qui aura eu une véritable remise en question du sens de son travail, et qui aura peut-être besoin de plus de temps pour être en capacité de s’investir à nouveau. L’enjeu sera alors de concilier ces réalités différentes afin de pouvoir recréer une dynamique collaborative.
« Si on ne prend pas le temps d’entendre ses salariés, et de trouver comment remettre tous les curseurs au même niveau, on risque de se confronter à des problèmes futurs au sein de son organisation, à des démotivations, des conflits, des départs de collaborateurs… » avertit Anne Ecochard.
Ce bilan pourra se faire en présentiel, en équipe et de manière individuelle au moment de la reprise. A distance en amont, il conviendra de privilégier la vision qui permet de décoder davantage de canaux de communication, puis sinon, le téléphone, et enfin en dernier recours le mail.
Magali Ménard propose 3 exemples de questions à poser aux
salariés sous forme de sondage ou dans le cadre d’un temps d’échange :
Qu’est-ce que vous n’avez pas pu faire et que
vous auriez voulu faire pendant ce confinement ?
Qu’est-ce que vous n’aviez pas pu faire avant
cette période et que vous avez eu le temps de faire ?
Qu’est-ce que vous avez l’intention de faire maintenant
?
A partir des réponses formulées, le manager pourra mettre en place des outils, trouver des solutions, et organiser une reprise.
Capitaliser sur les bienfaits de cette période
Oui, le confinement a aussi eu du bon !
Nous entendons par exemple que le télétravail a été très apprécié par de nombreux salariés. Ce sont des réalités qu’il faut entendre et qui peuvent nourrir les réflexions sur une future organisation du travail. Dans d’autres équipes, le confinement a permis de monter en compétences sur les outils digitaux avec le recours à des outils collaboratifs (type Slack, Teams, Asana, Trello…). Cela a facilité les échanges et la gestion de projets à distance. Ces méthodes de travail, éprouvées durant la période de confinement, peuvent être pérennisées à l’ensemble d’une structure pour gagner en efficacité. Les bilans collectifs et individuels sont ainsi l’occasion de lister les éléments qui ont bien fonctionné et qui mériteraient de trouver une place permanente dans l’organisation de sa structure.
Dans le même temps, cette expérience est l’occasion de mieux capitaliser et valoriser les forces de son équipe. La notion de force renvoie aux qualités fondamentales, ce qui est inné chez la personne. Par exemple, la capacité d’écoute, la persévérance, la curiosité, la créativité…). Quand nous utilisons nos forces, cela nous procure de l’énergie, du bien-être et améliore sensiblement nos résultats. Magali Ménard nous suggère de profiter de l’occasion pour refaire, par exemple, une cartographie des missions de certains salariés. D’autant plus que l’on sait que pour beaucoup de salariés, le confinement a été l’occasion de repenser au sens de ses missions.
Un des risques possibles, lors du déconfinement, est de se retrouver face à une démotivation globale des salariés. Les méthodes de travail ont été bousculées, la communication, la surexposition aux mails… a pu créer un déséquilibre. Selon une étude du magazine Welcome to the Jungle, les salariés s’estiment moins engagés qu’avant la période de confinement.
Dans ce contexte, il est primordial de prendre le temps de remercier sincèrement ses équipes et de donner des signes de reconnaissance afin de favoriser un état d’esprit positif et l’engagement des salariés. Gardons à l’esprit que les salariés qui souffrent d’un manque de reconnaissance sont 4 fois plus susceptibles de souffrir de détresse psychologique.
La reconnaissance peut se baser sur 4 éléments :
La reconnaissance liée aux résultats : féliciter
le salarié sur les résultats obtenus, sur les objectifs atteints.
La reconnaissance liée aux compétences qui ont
été démontrées ou développées pendant ce confinement. Certains ont peut-être
fait preuve de plus d’autonomie, de créativité… dans leur travail
La reconnaissance liée à l’investissement :
certains salariés ont peut-être travaillé plus ou de manière différente. Ils se
sont peut-être investis sur des tâches qui n’étaient pas les leurs
initialement,
La reconnaissance existentielle : elle
passe par le fait de reconnaitre l’individu avec sa capacité de résilience,
d’avoir tenu ces semaines de troubles.
Alors comment féliciter concrètement ses salariés ?
Tout d’abord, par un simple MERCI ! Les salariés ne sont pas forcément en attente d’une prime mais d’un vrai merci authentique, sincère et désintéressé.
Se dire merci à tous les niveaux de l’entreprise. Il y a une tendance du merci descendant, mais on peut aussi se dire merci entre collègues, entre services. De manière horizontale et pas seulement verticale.
Formaliser la reconnaissance : il faut un vrai moment d’échange entre les managers et les collaborateurs, et pas uniquement un mail de service. Nous pouvons appuyer cette reconnaissance avec des faits concrets
S’assurer du bien-être de ses salariés
L’engagement des salariés est lié au bien-être psychologique. Plus le salarié est bien, plus il va être engagé. Toujours selon l’enquête menée par le magazine Welcome to the Jungle sur l’engagement des salariés à la fin du confinement, 66% des répondants précisent que leur engagement au travail va dépendre de la façon dont leur entreprise va s’occuper de leur bien-être au retour. La notion de bien-être au travail va être un enjeu pour les managers.
Au-delà des remerciements précédemment évoqués et qui
contribuent à mettre ses équipes dans de bonnes conditions psychologiques de
travail, le manager pourra porter une attention à l’accueil des premiers jours.
Cela peut passer par :
Prêter une attention toute particulière au ton
et à la forme des mails qui seront envoyés en amont de la reprise, pour
annoncer, par exemple, les conditions de retour au travail
Déposer des mots d’accueil personnalisés sur le
bureau de chaque collaborateur
Préparer un café d’accueil, en respectant naturellement
les règles sanitaires définies
Créer des routines
Accompagner ses équipes à mieux vivre la reprise du travail et à faire face à cette période d’incertitude peut passer par la mise en place de nouvelles routines. Par principe, l’être humain (ou plutôt notre cerveau) a peur de l’inconnu. Or, la crise du COVID-19 a complètement bousculé nos habitudes de vie et de travail. Il convient donc de créer une nouvelle normalité, de retrouver un équilibre, des repères, et d’installer des routines de travail, des rituels qui vont sécuriser le quotidien : des claps le matin, des points réguliers, un cercle de réciprocité…
Cercle de réciprocité ? Quésaco ? Notre coach Magali Ménard nous explique cela en quelques mots. En groupe, chaque personne vient inscrire sur un post-it puis déposer sur un mur ou un tableau ce dont elle pourrait avoir besoin pour réaliser telle ou telle tâche. D’autres personnes de la structure pourront alors proposer leurs services pour aider cette personne et inversement.
Nous pouvons ainsi instaurer cette routine lors de la reprise une fois par semaine ou toutes les deux semaines. C’est un rituel qui peut en plus re-dynamiser l’engagement, le sens du travail et la cohésion, essentielle lorsque l’on a été coupé de liens sociaux pendant plusieurs semaines.
Prendre soin de soi et s’écouter
Déjà fortement mis sous pression dans la période de
confinement, il est certain que les managers ne seront pas ménagés dans la
période d’après – le déconfinement et les mois qui vont suivre.
On remarque très souvent que le manager pense d’abord à sa structure et à ses équipes. Prendre soin de sa personne survient alors en dernière étape.
Or, on oublie bien souvent que le manager incarne une posture de guide pour ses équipes. « L’état d’esprit, l’humeur du manager donne le ton de l’ambiance de la reprise » souligne David Azria . Se développer soi-même, s’écouter, prendre soin de soi est donc essentiel en tant que manager, pour pouvoir être en capacité d’aider au mieux ses collaborateurs. Si l’on souffre de troubles du sommeil, si l’on constate une augmentation de son stress, il peut être alors recommandé de se faire accompagner, dans cette période, par un coach et/ou d’échanger entre pairs. Ou simplement de recevoir une écoute non-jugeante d’un tiers, qui permettra de prendre du recul sur sa propre situation, de changer sa vision des choses, et de faire baisser la pression.
Intégrer la notion de changement permanent
Cette crise a révélé nos failles, nos doutes, nos certitudes, nos forces mais surtout notre capacité à se réinventer. Aujourd’hui, nous parlons de déconfinement mais personne n’a de certitude sur l’avenir… peut-être qu’un nouveau confinement sera imposé ?
Le manager doit intégrer le fait que le changement va devenir permanent.Il doit donc développer une aisance dans ces situations. Cette réalité doit être acceptée par les équipes, mais ce sont les managers qui sont en première ligne. Il est important aujourd’hui d’accompagner les équipes pour qu’elles deviennent de plus en plus agiles. « Ce sont les entreprises qui seront le plus à l’aise dans le changement qui s’en sortiront le mieux » nous rappelle Anne Ecochard.
De plus, si aujourd’hui ces changements s’opèrent au niveau
d’une crise sanitaire, les révolutions à venir pourront impacter des changements
de métiers, de technologies, enclencher de nouvelles évolutions sociales. Dans
le domaine du tourisme par exemple, on ne sait pas comment les touristes vont se
comporter dans les prochains mois. Il faudra surement repenser ses offres, sa
manière d’accueillir.
Le changement devient permanent, si on arrive à être bien
avec cela, cela va créer une vraie force au sein de son organisation.
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